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Allocution prononcée par le Grand Rabbin Albert GUIGUI au Parlement européen à l’occasion du « 30ème anniversaire du marché unique de l’Union européenne :

 

Réalisations passées et développements futurs.

 

 

 

 

 

 

Permettez-moi tout de vous remercier Monsieur Othmar Karas, Premier vice-président du Parlement européen pour votre invitation et pour l’honneur que vous me faites de me permettre de réfléchir ensemble sur les réalisations passées et surtout sur les développements futurs du marché unique de l’Union européenne.

 

Je prendrai comme point d’ancrage à ma réflexion un texte biblique bien connu : le récit de la tour de Babel.

 

Commentant ce passage de la Bible, nos Sages expliquent la faute cardinale qui a été commise par la génération de la Tour de Babel. La construction de la Tour était bien organisée. Pour accélérer la fourniture des briques aux maçons, les manœuvres utilisaient une rampe située à l’Est. Pour redescendre, ils empruntaient une autre rampe se trouvant à l’Ouest. S’il arrivait à un homme de glisser et de tomber de la rampe, de se blesser et même de mourir, personne n’y prenait garde. Un autre homme le remplaçait sans dommage. En revanche, si le chargement de briques venait à tomber, les concepteurs du projet se mettaient à pleurer en disant : « Quand réussira-t-on à faire monter d’autres briques[1]. »

 

Pour les concepteurs du projet de la Tour de Babel, la vie humaine n’avait plus de valeur. Un homme pouvait être remplacé par un autre homme. Il suffisait de mettre un autre numéro à sa place. La perte d’une pierre en revanche hypothéquait la réalisation de leur projet. Et cette situation leur était insupportable. Pour eux, l’homme était devenu un moyen et non une fin.

 

Or, nous le savons bien, du moins depuis Kant, que la règle d’or de l’éthique est de ne jamais considérer l’homme comme un moyen mais comme une fin.

 

Le châtiment de la génération de la Tour de Babel fut la confusion des langues, l’incompréhension mutuelle, le non-respect et l’intolérance et comme conséquence ultime : l’asservissement de l’homme à la matière.

 

Et aujourd’hui. Quelles leçons devons-nous tirer ?

 

Le récit de la Tour de Babel nous interpelle. Il nous parle au moment où nous l’évoquons. Car, nous vivons un siècle où les progrès technologiques évoluent de façon exponentielle. La technologie règne en maître absolu. Les richesses s’accumulent. Or, de plus en plus, nous voyons que notre monde, au lieu d’être un îlot de solidarité est devenu un enfer, un monde où règne l’égoïsme et le chacun pour soi.

 

Nous vivons dans une société où le maître mot est la consommation à outrance. On pousse les gens à consommer de plus en plus pour faire tourner la machine économique. On crée des besoins. On cultive l’avoir tout en étouffant l’être.

Tout est bon pour augmenter l’audimat. Seul le résultat compte. On ne recule devant rien.

 

C’est bien cette politique qui explique le nombre de chômeurs que nous connaissons en Europe. On ne se préoccupe plus de l’individu. Les entreprises n’ont qu’un seul objectif : la rentabilité. Tant pis si on met sur le carreau des milliers de travailleurs avec femmes et enfants. Tant pis si on brise leur vie. Tant pis si on détruit leur bonheur durement acquis.

 

Il y a aussi ce monde où l’homme est traité comme un moyen et non comme une fin. Dans nos sociétés, les individus ne sont plus considérés comme des hommes ou des femmes, mais comme des numéros, des dossiers, des séries de chiffres accolés les uns aux autres. Quand on numérote les individus sans plus reconnaître le visage qu’ils présentent, alors on menace ce qu’il y a de singulièrement humain chez chacun d’entre nous. D’où une grande perte d’humanité et de contact humain.

 

Les gens sont seuls. Leur solitude est d’autant plus grande que le nombre des médias augmente. Les moyens de communication n’ont jamais atteint un niveau de développement aussi important que celui d’aujourd’hui. Et pourtant, la solitude des gens et leur misère n’a jamais été aussi grande. Il y a trop de bruit, trop de brouhaha. On ne s’entend plus. À qui crie le plus fort. Et cette course effrénée s’accompagne de l’absence de valeurs morales.

 

Nous vivons dans une société où il est honteux d’interdire quelque chose. Au nom de la liberté, tout doit être permis. Nous avons oublié qu’une société ne peut pas être fondée que sur des droits. Les droits doivent être couplés à des devoirs si nous voulons que nos enfants puissent vivre dans une société heureuse et harmonieuse.

Je pense que l'économie de marché doit avoir aujourd’hui un double but : produire de la richesse et la distribuer équitablement. La concentration de la richesse dans quelques mains donne un pouvoir disproportionné à certains au détriment des autres.  Aujourd'hui, en Europe, il n'est pas inhabituel de voir certains chefs d’entreprise gagner au moins quatre cents fois plus que leurs employés.  Cela ne produit pas la croissance économique ou la stabilité financière, mais bien le contraire.

 

Tout le monde parle de croissance comme solution à la crise que nous vivons. Mais de quelle croissance s’agit-il ? Pas d’une croissance anarchique. Il faudrait une croissance canalisée, réglementée.

C'est ce que la législation biblique exige de chacun d’entre nous.  Tout système économique doit être encadré par une éthique et un cadre moral.  Nous ne devons pas viser à l'égalité économique, mais à respecter la dignité humaine.

 

"Aucun homme n'est une île."

Personne ne devrait être définitivement emprisonné par les chaînes de la dette.  Personne ne devrait être privé d’une part de la terre. Personne ne devrait être l'esclave de son employeur.

Au cœur de toutes nos économies d’avenir, nous devrons trouver une vision profondément humaine de la société.. "Aucun homme n'est une île." Nous sommes responsables les uns des autres et impliqués dans le même destin.

Ceux qui sont bénis par Dieu en bénéficiant de richesses doivent partager une partie de cette surabondance avec ceux qui ont reçu moins.

 

Dans le judaïsme, ce n'est pas une question de charité mais de justice. C'est ce que le mot Tsédaka signifie. Nous avons besoin de cet esprit d’équité dans l’exercice des économies modernes si nous ne voulons pas voir la misère humaine submerger nos cités et être confrontés à des troubles sociaux.

N’oublions pas ces propos d’Isaïe dans le premier chapitre du livre qui porte son nom:

Chercher la justice, encourager les opprimés ;

Plaider la cause de l’étranger, de la veuve et de l’orphelin. ...

 

L'humanité n'a pas été créée pour servir les marchés. Les marchés ont été faits pour servir l’homme créé à l'image de Dieu.

 

[1] Pirké de Rabbi Eliezer, 24 ; Bemidbar Rabba 22, 6.

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S’attaquer aux morts est un acte de lâcheté sans pareille 

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